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017-MATISSE_Henri,_Femme_au_divan,_1920,

Henri Matisse, Femme au divan, 1920, 60 x 73,5 cm, Bâle, Kunstmuseum

En 1920, Henri Matisse est à Nice française de fraîche date ; il est venu soigner une bronchite et se rapprocher de son fils. Il y restera jusqu’à la fin de sa vie en 1954. Installé à l’hôtel Beaurivage puis à l'hôtel de la Méditerranée, il est contraint de peindre le plus souvent sa chambre, transformée en atelier, dont il change de saison en saison pour profiter de la lumière du moment. Sa recherche plastique s’oriente désormais vers le rendu d’une atmosphère, d’une ambiance. Il peint jour après jour son modèle, Antoinette Arnoux, puis Henriette Darricarrère, au divan. C’est ici une vue de l’intérieur, intimiste, confinée, avec en premier plan la coiffeuse à la nappe, dont les rayures marine font écho aux persiennes bleu de Prusse dans une écriture graphique qui rappelle Raoul Dufy, seule échappée du regard vers l’extérieur. A la suite des natures mortes de Cézanne, la perspective est bien matissienne : table peinte à plat, vase lévitant au-dessus, trop plein ou trop peint quoique transparent, profondeur absente niant la perspective.

Cultiver les nuances

Les couleurs sont bien celles qui lui ont valu l’appellation de fauve au Salon d’Automne de 1905, souvenir de son séjour à Collioure avec André Derain où ils peignent côte à côte, toutes couleurs déchainées. A Nice toutefois elles se font moins violentes, mois franches, plus douces et nuancées, du rose au carmin. Matisse peint toutes les couleurs qui s’offrent à son regard : la tache jaune vif du cadre dit un miroir au-dessus de la table, le bleu du vase a quelque chose d’orientalisant, souvenir possible de son voyage au Maroc en 1912. La lumière est là, différente lorsqu’elle éclaire le sol à travers les persiennes, se reflète dans la porte vitrée ou arrive directement par la fenêtre ouverte.

S'ouvrir à la sensualité

Dans cette composition, la femme est traitée au même niveau que les éléments du décor. La chambre est petite, et Matisse peint souvent genou à genou avec son modèle ; la volupté est sublimée. Le modèle devient un support pour la recherche classique, habillée, demi nue… La lascivité et la sensualité sont perceptibles, ce qui est nouveau dans l’œuvre de Matisse et préfigure la période qui suivra des odalisques, l’intérêt du peintre pour le corps. Antoinette se fond dans le divan, uniquement brossée par quelques traits de son déshabillé, et par sa chevelure noir de jais. La posture exhale l’ennui, l’attente, la désinvolture – les chaussons sont épars sur le sol, le modèle s’en est débarrassé négligemment - et nous parle d’un monde confiné qui contraste avec le monde vu à travers les persiennes, un monde vivant avec sa nature, le palmier aux vert et ocre violents, et ses silhouettes noires à la Marquet, semblables à des ombres perçues à contrejour d’un soleil aveuglant. Tout oppose l’univers clos de la chambre d’hôtel, ses couleurs douces mais rassurantes, la lourdeur des rideaux et des tissus tendus au mur mis en scène par le peintre, avec la lumière vive de l’extérieur réduit à la portion congrue de la toile. On a deux espaces contrariés, la frontalité de la porte fenêtre comme une frontière entre deux mondes.

L'appel du large

On pourrait presque sentir la brise marine qui s’insinue par les volets. Et au loin, la mer, perspective matissienne plate, qui emplit l’espace. Où se trouve la vie véritable ? Dans le havre de la chambre, ou bien dans la lumière écrasée de chaleur de l’extérieur ? Dans une intimité propice à la vie intérieure, mais aussi à l’abandon de soi, ou auprès des promeneurs du bord de mer ? Cette œuvre joue pour moi comme un retour réflexif, une pause, un moment éphémère pris dans l’actualité que nous partageons. Que se passe-t-il au coucher du soleil ? Le peintre poursuivra son œuvre par des vues du bord de mer depuis son balcon. Enfin, il sortira.

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